Allongée dans mon lit, je fermai les yeux et inspirai profondément. Doucement. Puis expirai. Je laissai pénétrer l'air afin qu'il apaise chaque cellule de mon corps. Enfin, je me laissai emporter par la fatigue. Ou du moins, je tentai. Je me sentis basculée. Mon lit me parut faire un tour sur lui-même, me déstabilisant et me projetant dans le vide. J'ouvris aussitôt les yeux, le cœur battant. Je n'avais pas bouger. Mon lit non plus. Je refermai alors mes yeux et me répétai : « Ce n'est rien. Rien du tout Calme-toi. Tout va bien... Ne t'agite pas comme ça. Respire et endors-toi paisiblement comme tout le monde ! » Je recommençai mon petit exercice, mais la seule image qui me parvint fut celle de mon père. Une odeur forte me frappa comme une bourrasque. Son haleine. De l'alcool. Il m'appelait, me demandait d'approcher, mais je restais terrifiée par la lueur qui vrillait son regard. Il était saoul. Sa voix s'amplifiant, Hadeys apparut, survenant de nulle part il s'interposa entre nous deux, tandis que d'un geste brusque mon père cassa une bouteille. Il la brandit comme une arme mortelle vers mon frère. Mon regard croisa le sien et je compris. Il allait le tuer. Alors je me réveillai en sursaut, toute en sueur. Affolée, ma respiration se fit saccadée. Je me défis de mes draps, pris mon sac et quittai le dortoir en toute hâte. J'avais peur. Je voulais voir Hadeys. Je voulais sentir sa présence, m'assurer que rien ne lui était arrivé.

Quand je fus parvenue dehors, je me calmai un peu et tentai de me résonner. Non, il ne lui est rien arrivé. Père est en prison. Il n'en sortira pas avant longtemps. Il ne peut rien nous faire. Il ne peut rien lui faire. Rien ne peut plus nous séparer. Tout va bien. Tout va bien. Me laissant tomber par terre, je repliais mes jambes contre ma poitrine et les entourai de mes bras. Non, ça n'allait pas. Alors je sortis une bouteille de vodka que je bus à grande gorgée et m'allumai une cigarette. Petit à petit, mon corps se détendit, mais ce n'était pas suffisant. Je ne me sentais toujours pas bien. Ce rêve, non, cauchemar aurait du m'inciter -à l'inverse de mon père- à ne pas devenir une ivrogne, rongée par l'alcool de l'intérieur. Mais il était bien trop tard pour cela. Il coulait dans mes veines à flot. Allongée dans le gazon, je respirai l'air pure de la nuit, seule au monde, livrée à toutes mes peurs. A ma seule phobie. Ne plus le revoir. Ne plus être à ses côtés. Que la mort nous séparât.

« Tu bois trop et tu fumes trop. » Je relevai mon visage en direction de la voix qui m'avait interrompue dans ma longue méditation solitaire. Je coulai un regard condescendant vers Christopher debout à mes côtés. Un sourire facétieux s'esquissa sur mes lèvres, tandis que je me redressai nonchalamment. « De quoi tu parles ? Trop ? C'est un adverbe que je n'emploierai pas... je me sens à peine aller un peu mieux », déclarai-je sur un ton persifleur et froid. Le regard de Christopher se nuança d'une évidente incompréhension. « Tu racontes vraiment n'importe quoi. Mademoiselle-je-sais-tout-et-j'ai-tout-ce-que-je-veux. » Un rire sardonique passa mes lèvres. « Me reprocherais-tu ma brillance d'esprit ou tout simplement mon génie naturel ? » Le jeune homme leva les yeux au ciel mi-exaspéré, mi-rieur et me tendit la main. Une main que j'attrapai fermement. Je n'eus qu'à me laisser tirer pour atterrir debout sur mes deux pieds. Christopher ramassa mes affaires, alors que je m'en allais faire le tour de l'enceinte. Je sentais ses yeux se poser sur moi au loin. Il se demandait ce qui m'avait rendue ainsi. Il pensait qu'un jour j'avais été différente. Mais il avait tort. Il n'y eut dans ma vie qu'un temps si bref que presque inexistant qui m'avait vu sous de meilleurs jours... Un temps révolu. Au pied du château, je jetai un regard mi-inquiet, mi-rassuré à la tour des Serdaigle. Un frisson me parcourut. Ces souvenirs que je voulais oublier, noyer, ne me quitteraient jamais. Je le savais. Quelle importance ? Tant qu'Il était là... mon cœur se serra dans ma poitrine, une légère bouffée de chaleur m'envahit et mes joues s'empourprèrent légèrement. Liés par le sang ou non, je l'aimais d'un amour sans limite. J'éprouvais quelque chose de bien plus fort encore que de l'amour pour Hadeys. Un sentiment si fort qu'il n'y avait de mot pour le décrire.

« Tu ne penses quand même pas que je suis ton serviteur j'espère ! » Je lui jetai un regard presque étonné et levai un sourcil. Un sourire moqueur et rieur s'empara de mes lèvres. Je le fixai sans mot dire. A question rhétorique nulle réponse n'avait besoin d'être donnée. S'il souhaitait jouer le rôle du preux chevalier, à sa guise. Cela n'était pas pour me déplaire. Ce qui cependant ne signifiait pas que je lui portais un attachement particulier. De la sympathie. Peut-être. Je repris mon sac et le lançai sur mes épaules. « Au fait, Cassie, tu savais qu'Eloïse avait finit en colle ? » Évidemment, oui, je savais. J'étais partiellement responsable de cette sentence quelque peu excessive. Pauvre enfant. Mais qui l'avait donc permise de jouer les impertinentes et les intrigantes de surcroît ? Je pris une expression toutefois surprise et jouais les innocentes. « Non, je n'étais pas au courant. Et pour quel motif ? » Il me fixa un long moment, à la recherche d'un quelconque indice prouvant ma culpabilité dans cette injuste punition. Injuste. Non, ce n'était pas le mot. Elle l'avait méritée. Il ne trouva rien. Ce qui parut le rassuré. Pourquoi ? Je ne le compris pas. Il prit de sa main une mèche folle qui me barrait le visage et la passa derrière mon oreille. Ce geste se transforma en une caresse. Puis en un baisé.



Les vacances d'été. Période horripilante. Cette année je devais pour la première fois rencontrer mes grand-parents et de qui plus était, passer un mois en leur charmante compagnie. Le vieux couple d'aristocrate au sang pur se vit dans l'obligation d'accepter notre existence le jour où Hadeys passa l'imposante porte de Poudlard. Un enfant « Whisper » à Poudlard ? La rumeur s'était répandue dans un murmure tremblant jusque la noble famille Whisper. La fratrie Whisper aurait survécu à l'accident dans lequel leurs parents périrent et été élevé par des Moldus. Mensonge. Encore une fois. Miracle ? « Quel soulagement de les avoir tous les deux enfin retrouvés ! » Sourire rayonnant. Désastre. Que font ces deux bâtards ici ? Calvin n'est vraiment qu'un bon à rien ! Derrière leur belles phrases suintant d'une bienveillance exagérée, j'entendais ces phrases criées, hurlées par leurs cœurs aigris. Malgré tout le bon-vouloir des Whisper, un léger chuchotis sifflait aux oreilles de qui voulait bien l'entendre, que les enfants Whisper étaient de sang-mêlé. A tant vouloir cachée la vérité, elle resurgit d'elle même à la surface. Quelle ironie du sort. Une seconde avec ces vieux rabougris me suffit à comprendre que jamais nous ne pourrions former une famille. Une part de moi l'avait espéré, une petite, très petite part de moi... mais ce n'avait été qu'un vague espoir, une chimère insensée. Je l'avais pourtant sentie s'égosiller dans ma poitrine entre deux injections. L'illusion était perdue. Le rêve, cette fois encore brisé, dans un éclat de rire tel un verre se brisant au sol. Le mois passé chez les géniteurs de mon père me fit comprendre une chose. Son esprit insalubre lui avait été insufflé dès sa première bouffée d'air. De la compassion essayait de naître en moi, mais mon cœur saignait déjà trop pour le lui en faire part... ne serait-ce que d'un peu. Un peu, c'était déjà trop.

Et au milieu de ces gens dénués de toute âme, il y avait Hadeys. Ma raison d'être. L'unique.

Août se passe chez les Lancaster, ma famille d'accueil. Eux, au moins, avaient l'air heureux de me retrouver, quoique quelqu'un peu attristée par mes soudaines retrouvailles avec ma famille biologique. Ce second mois de vacances – pures tortures – se joua telle une une comédie mélo-dramatique. Sur les Lancaster, les Whisper remportait un pont. Ils ne s'étalaient pas en futiles débordements d'affection fictif, du moins, quand nous n'étions qu'entre nous. Bien heureusement, les Lancaster me pensaient étudier au conservatoire de Paris, en tant que jeune violoniste et compositeur prometteur. Le talent, je l'avais, tout autant que la passion... et à mon image, ma musique résonnait comme mille blessures, soupirantes, saignantes et béantes. Violoniste, flûtiste et pianiste. Le monde de la musique s'était ouvert à moi. Aussi ils me laissaient un espace suffisant pour que je n'eus pas à les supporter plus de trois heures par jour, passant une part de mon temps à étudier – la sorcellerie – et l'autre avec mon frère.
« Comment oses-tu croire que toi, toi, Cassandre Whisper, puisse être capable d'intégrer le conservatoire de Paris ! Quatorze ans et d'une impertinence honteuse ! Le talent ne suffit pas », cracha avec véhémence Mrs. Hullington. Professeur de violon par dépit, n'ayant réussi sa carrière de concertiste. L'emportement de la quadragénaire fit sourire Cassandre. Elle souriait avec défiance. Qui n'y arriverait pas ? Ou plutôt qui n'y était parvenu ? L'adolescente sentit son cœur se gonfler d'orgueil. Une voix chuchotait à son oreille: «  Ce n'est que pur jalousie. Elle n'est même plus assez bonne pour t'enseigner quoi que ce soit et ça lui fend le cœur. » A mesure que son professeur s'empourprait et s'époumonait un sentiment de profonde satisfaction se répandait en elle. Cassandre posa son violon avec un calme exagéré, une délicatesse hypertrophiée, un dédain presque palpable. S'asseyant devant le piano, elle plaqua un accord. Mineur. Laissa courir ses doigts sur le clavier. Respira. Une seconde. Et reprit, plus doucement, tout en accélérant de mesure en mesure, emportant la voix de cette femme déçue par la vie, dans un tourbillon de feuilles mortes. Elle fit apparaître sous ses mains, cette si belle feuille qui trop tôt avait dépérit et s'était détachée, dans un mouvement lent, hésitant, apeuré... et qui finalement malgré soi, s'était laissé emporté par les souffle du vent. Les accords se firent plus légers, doux. Essayant de se raccrocher à tout et rien à la fois, elle se laissait aller, comme si, le choix de vivre ne lui appartenait plus. L'air se fit alors plus mélancolique et torturé. La chute était inévitable. Plaquant un dernier accord sombre et froid, elle leva son faciès vers son professeur. Lui souriant, elle souffla : « L'avez-vous entendu ? La musique. » Reprenant son violon et ses partitions, la jeune fille quitta la salle d'un pas allant. Son regard placide, ses mouvement graciles ne laissaient rien paraître de ses émotions. Cette contenance qui lui était propre finit par achever Mrs. Hullington. Elle ne dit pourtant rien. Le souffle coupé. Interdite. Il n'y avait, en effet, rien à dire. La virtuosité de cette enfant l'effrayait si bien qu'elle en tremblait. Le don de cette gamine était inconcevable. Tout lui paressait si aisé. Cassendre l'insupportait. Elle la détestait pour tout ce qu'elle était, pour tout ce qu'elle représentait.
Elle ne savait pourtant pas à quel point cette jeune fille souffrait. Elle ne savait pourtant pas que cette mélodie ne lui était pas adressée. Qu'elle n'était que l'écho de l'âme d'une enfant qui pleurait sans ne plus pouvoir verser de larme.

Quelques mois plus tard.

Le son du violon s'envola comme une plainte avant de se poser sur une note d'espoir. Un sentiment nouveau naquit. De la tendresse. Et les traits d'un jeune homme au regard doux, au visage fin se dessina dans les airs. Son souvenir chaleureux et réconfortant s'imposa avec légèreté, telle une caresse se transformant en une étreinte affectueuse. Mais cet amour, se transforma en un coup d'archet en une violente tempête, désespérée, laissant une âme vagabonde errer dans les nimbes de l'affliction. Le drame subi. Éternel et incontrôlé. Parfois noyé, le chagrin oublié, se laissait apaisé pour mieux ressurgir. Concerto pour violon de Bruch. Dernier morceau que Cassandre présenta au concours d'entrée du conservatoire de Paris. Déterminée à réussir ce concours, elle s'était infligée un programme ardu et excessif. Un entraînement quotidien qui lui fit l'honneur de porter ses fruits. Ce succès parvint aux oreilles de Mrs. Hullington qui voulut faire répandre la rumeur qu'elle était celle à qui l'on devait cette réussite. Cassandre l'avait précédée. Consciente que la dame ne se gênerait en rien pour cueillir les fruits de sa propre réussite, elle accepta de concerter avec son ancien professeur. L'humiliation fut si grande pour Mrs. Hullington ce soir là que plus jamais elle n'osa se présenter au conservatoire de Londres.

Tout en regardant mes camarades quitter leur parents sur le quai, je ressassais mes souvenirs de vacances, mes souvenirs d'un temps passé. Presque lointain et pourtant si proche. Si je devais être reconnaissante envers les Lancaster ce ne devrait être que pour une chose. M'avoir offert l'opportunité de poursuivre mes études en musique. Reportant mon attention sur le monde réel, je recommençai à les observer vraiment. Les élèves de Poudlard, leurs bagages et leurs parents. C'était étrange de les voir, pour certains, si peinés de devoir quitter leur famille. Moi, je m'en réjouissais et m'en faisais une fête. Mon seul chez moi était Poudlard. L'école de Magie. Une tête passa la porte du compartiment dans lequel je m'étais installée. J'aperçus son reflet dans la vitre, mais ne me retournai pas. Dehors, les premières années se jetaient une dernière fois dans les bras de leurs parents. Un sourire caustique fendit mes lèvres. Mes cheveux blonds et bouclés devinrent brin et raides. Cette transformation sembla réveillée la petite rousse qui était restée plantée dans l'entrebâillement du compartiment. Surprise et quelque peu effrayée - réaction qui m'est à présent devenu habituel face à mes changements soudain et anodins d'apparence. Elle fit glisser doucement la porte et s'en alla sans mot dire. Elle dut croire qu'elle m'indisposait, alors qu'il ne s'agissait que d'une pure indifférence. Peu après son passage, mes camarades, si je puis dire, s'installèrent bruyamment à mes côtés sans même prendre la peine de me demander si leur présence m'indisposait ou non. « Paraît que tu as retrouvé tes grand-parents cet été Cassie ! » Question, réponse, affirmation, provocation ? Je n'avais nullement l'envie, ni même l'intention de m'attarder sur un tel sujet. Mon arbre généalogique était un sujet que je tenais pour tabou et ce pour la bonne et simple raison qu'il m'écœurait. « Eh oui, le retour de l'enfant prodige comme on dit, » répondis-je avec une pointe de fierté et d'impertinence. Un ton défiant et cassant. Un ton consciemment hautain mais doucereux. Je laissais s'installer un court silence, froid presque glacial, avant de sourire sournoisement et reprendre sur un ton égale. « Enfin, c'est cool qu'on se retrouve. Poudlard commençait à me manquer ! J'ai ha^te de suivre ces nouveaux cours...» Cette simple phrase suffit à détendre l'atmosphère et la conversation reprit sur le ton de la conspiration et de la raillerie. Il était si simple de comprendre ce qu'ils voulaient, ce qu'ils cherchaient. Peu amène à les écouter pour l'heure, je repensai, à ce baiser volé à mon frère en sortant du taxi. Un petit sourire emprunta le chemin de mes lèvres. Je me lançai alors dans la conversation, murmurant quelques fourberies guillerettes, esquissant quelques desseins à la hauteur de mes folies. Chaque seconde me rapprochait un peu plus de mon chez moi. Je sentais un léger chatouillement au creux de mon ventre. De l'excitation. De l'euphorie. Peut-être même quelque chose qui se rapprochait étrangement d'un sentiment que j'aurais pu appeler "joie"...